Mais avant d'entrer dans ces détails, signalons aux lecteurs de la Revue horticole une note d'un grand intérêt touchant à la même question, publiée par un des amateurs les plus éclairés de la Belgique, M. de Puydt, et reproduite dans un des derniers numéros (celui de novembre 1863) du Journal de la Socíete impériale d'horticulture. Frappé, comme beaucoup d'autres, des nombreuses erreurs qui se commettent journellement dans la culture des plantes exotiques, entassées sans distinction de provenances et de tempéraments dans les mêmes serres, et surtout dans les serres chaudes, M. de Puydt s'efforce de rappeler aux horticulteurs qu'une plante, parce qu'elle a le faciès tropical, ou que la majorité de ses congénères se trouve entre les tropiques, n'est pas nécessairement pour cela de tempérament tropical; qu'il y a sous ce rapport d'assez nombreuses exceptions, et que, dans la famille des Palmiers, entre autres, beaucoup d'espèces, et non pas les moins belles, sont assez peu exigeantes pour se contenter de la serre froide, sous le climat de la Belgique. Gest une réforme importante qu'appelle M. de Puydt, réforme qui profitera surtout aux amateurs de fortune médiocre, qui, sans encourir le dispendieux entretien d'une serre chaude, jouiront de l'aspect de la végétation tropicale tout aussi bien que leurs confrères millionnaires. Pour notre part, nous nous associons pleinement à ce vœu, en y ajoutant celui de voir la culture des végétaux exotiques en pleine terre remplacer de plus en plus la culture en caisses, soit à l'air libre, soit sous des abris temporaires ou permanents.
C'est qu'aussi, au point de vue du climat, la France est autrement favorisée que la Belgique et que toute l'Europe centrale. Pour nous, le principal intérêt est dans la culture de pleine terre et de plein air, débarrassée de l'attirail des serres, des orangeries , des caisses et de tous les engins disgracieux que nécessite la rigueur du climat. De là, le grand intérêt qu'il y a pour nous à reconnaître, dans la végétation exotique, ce qui peut s'accommoder aux conditions météorologiques de nos diverses provinces; et comme les Palmiers sont tout à fait aux premiers rangs, et que, plus qu'aucune autre famille de plantes, ils impriment au paysage ce cachet de tropicalité qui manque à nos latitudes, il est naturel que nous cherchions à en tirer tout ce qu'ils peuvent rigoureusement nous donner. Leur contingent sera plus grand qu'on ne l'imaginerait à première vue, mais il faut ajouter que nos provinces méridionales seront presque seules à en profiter. Cependant, moyennant des abris passagers et quelques précautions indiquées par les circonstances, les provinces du nord n'en seront pas entièrement deshéritées. On peut, sans trop de témérité, porter à quinze ou à vingt le nombre des Palmiers capables de se naturaliser dans la région de l'Oranger, à sept ou huit ceux qui croîtront dans toute la zone des Oliviers; la lisière de l'Océan, de Bayonne à Cherbourg, pourra encore compter sur deux ou trois.
Quoi qu'il en soit, l'éveil est donné, et la palmiculture de pleine terre (car il faut bien lui donner un nom) a décidément pris droit de cité parmi nous. Ce qui manque aux amateurs, ce n'est plus la bonne volonté, ce sont ces Palmiers rustiques déjà vingt fois signalés, et dont la valeur, suivant la loi économique de offrе et de la demande, a décuplé depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui, les Jubea spectabilis, Livistona australis, Areca sápida, Chamaerops excelsa, martiana, palmetto, Cocos australis, l'phoenix reclínata, etc., sont introuvables ou inabordables. Le Dattier et notre Chamaerops indigène (1 ) ont eux-mêmes beaucoup renchéri. Nous ne connaissons en France que l'Etablissement Huber frères et Cie, à Hyères, qui puisse livrer ces deux Palmiers à des prix raisonnables; il est vrai qu'il en est abondamment pourvu. Comme compensation à cette rareté générale, nous apprenons cependant qu'une nouvelle espèce de Palmier rustique fait son entrée sur la scène, au prix certainement modique de 2f.50
(1.) On ne peut guère douter que le Chamaerops humilis n'ait été jadis indigène sur les côtes de Provence et que ce soit la culture du sol qui l'en a banni. Au surplus, il en existait encore récemment quelques pieds aux alentours de Villefranche, près de Nice, et l'herbier du Muséum en possède un échantillon de cette localité. Aujourd'hui il en a entièrement disparu, grâce aux touristes anglais, qui, fidèles à leur habitude de tout saccager là où ils passent, ont extirpé jusqu'au dernier représentant de la Camille des Palmiers sur notre sol.
la pièce, c'est le Chamaerops tomentosa, de l'Himalaya, aux feuilles velues ou tomenteuses, dit-on, ce qui serait tout à fait une curiosité dans la famille. Il était en vente il y a peu de temps à la Pépinière centrale d'Alger ; mais qui sait ce qu'il peut en rester de disponibles en ce moment?
Une chose est certaine : c'est que le progrès de l'horticulture en Italie, en France et en Espagne, secondé par le développement incessant des voies ferrées, va donner une grande impulsion au commerce des plantes propres aux climats méridionaux et lui créer un immense débouché. Heureux alors les horticulteurs prévoyants qui auront su d'avance mettre à contribution la flore australienne, celle de la Chine, du Cap, du Mexique, de l'Amérique australe! Ce sera toute une nouvelle branche de l'horticulture qu'ils trouveront là à exploiter, et d'autant plus lucrative que ces pays, jusqu'ici presque déshérités du jardinage d'agrément, s'y lanceront avec l'ardeur qu'on met partout à poursuivre les nouveautés.
Une longue excursion horticole que nous avons faite au mois de septembre dernier dans le midi de la France, et qui s'est étendue d'Hyères à Bordeaux, nous a mis à même d'observer les progrès de la palmiculture dans ce pays, et nous l'y avons trouvée très-promettante. Outre le classique Dattier, qui prend sur la côte de Provence les plus belles proportions (2) et le Chamaerops humilis
(2) Dam la noie que nous avons signalée ci-dessus, M. de Puydl dit qu'on cultive le Dattier tant bien que mal à Nice. Cette phrase présente un double sens, et il n'est pas facile de savoir lequel choisir. Si par là M. de Puydl veut dire que la culture du Dattier est mal entendue à Nice, nous n'y ferons pas d'objection; les horticulteurs niçois, comme les autres provençaui, se contentent de. planter leurs Dattiers n'importe où et de les arroser quelquefois. Evidemment ce n'est pas là le dernier mot de la culture de cet arbre. Mais si M. de Puydl entend par ces mots que le Daliier vienl mal à Nice, nous ne serons plus de son avis : nous avons vu beaucoup de Dalliers en Afrique, cl nous ne les avons jamais Irourés plus grands, plus beaux ni mieux venus que ceui qu'on voit en Provence, de Toulon à Nice, où ils fleurissent et fruclinenl lous les ans, et dont les fruits, lorsqu'ils ont été fécondés, arrivent quelquefois à maturité. Un de ces arbres, âgé aujourd'hui de 425 ans, qui se trouve dans je jardin du comte de Beauregard, à Hyères, est de taille lout à fait colossale, et nous n'en avons pas vu d'aussi énorme en Afrique, dans le« deux voyages que nous y avons faits.
Quelques erreurs se sont aussi glissées dans la note de M. de Puydl, qui voudra bien nous permettre de les lui signaler. Il nous dit, par eiemple, que le Chamxrops Palmetto est nain, el que le Chamxrops hystrix esl plus élevé. C'esl le conlraire qui est vrai : le Palmetto esl un grand arbre, dont la principale sla- lion est le long du golfe du Mexique, mais qu'on trouve un peu plus au nord, à Savannall; le Chamxrops Ну- slnx ou Chamwrops hérisson, quoique caulescent, al- leinl rarcmenl plus d'un mètre de hauteur. Mais c'est probablement a un lapsus qu'csl due celle erreur, où l'un des deux Palmiere ligure a la place de l'autre. 11 n'en saurait être de même de celle qui concerne У Are f,a tapida, Palmier irès-caulescenl, quoique ne dépassant guère 3 mètres de hnuleur, cl non pus acaule, comme le pense M. de Puydl.
qui y devient énorme, à Hyères du moins (3), où on le prendrait facilement pour un Livistona, nous avons trouvé le Livistona sinensis fleurissant et fructifiant à Hyères, et déjà remarquable par la hauteur de sa tige et l'ampleur de sa tête, quoique sa plantation ne remonte pas encore à 20 ans. Le Livistona australis n'existe encore là qu'en très-jeunes échantillons, mais il y pousse avec vigueur, et traverse impunément tous les hivers. Le Jubaea spectabilis, plus rustique que le dattier, réussit dans tous les jardins de l'Olivier, et même jusque sur les bords l'Océan, à marennes, ainsi que nous l'écrit M. Lételié, ou il se contente d'un leger abri pour passer l'hiver.
C'est à peine s'il est moins endurant que notre robuste Chamaerops européen, qu'il semble accompagner dans les jardins du Sud-Ouest, où tous deux prospèrent encore. Mais le plus rustique de tous est encore le Chamaerops excelsa, si mal nommé, et comme genre et comme espèce (4). Nous l'avons trouvé partout florissant dans le Midi, notamment à Montpellier, dans le jardin de M. Planchón, où deux très-jeunes pieds, que nous y avons nous-même plantés en 1857, élèvent déjà leur stipe de 0m.18 à 0m.20 au-dessus du sol. Sans jamais avoir été abrités, ils se sont conservés intacts, malgré la rigueur des hivers dans cette localité. Le Chamaerops excelsa ne prospère pas moins bien à Bordeaux, et presque aussi bien sur les côtes de la Manche, à Morlaix et à Cherbourg. Mais le plus grand échantillon de l'espèce qui soit en pleine terre, en France, est toujours celui du Muséum d'histoire naturelle, où il est confié aux soins de M. Carrière. Là, il est vrai, on l'abrite tous les ans sous un toit de paille, pour lui faire passer l'hiver, et cette précaution est nécessaire à cause de la durée des grands froids, et certainement aussi à cause de l'insuffisance de la chaleur solaire et de l'abondance de pluies de l'été, double cause qui l'empêche d'acquérir cette dureté des tissus qui le rend si rustique sous des ciels plus secs et plus lumineux.
Ce que nous venons de dire des Palmiers s'applique à beaucoup d'autres végétaux, surtout Monocotylédonés, comme les Agaves, les Bambous, les Yuccas, les Dracaena,
(3.) Témoins ceux du jardin de Ы. Denis.
(4.) Les botanistes font parfois du singulières bévues dans la dénomination des espèces. Ils ont nommé humilis un Chamaerops qui s'élève presque à la hauteur du Dattier, et qui ne reste nain que dans les mauvais sols, el surtout lorsqu'il est sans cesse, comme cela lui arrive presque parlout, recepé ou mis en coupe réglée, et ils ont donné le nom d' excelsa à un autre Palmier qui atteint à peine à la moitié de la hauteur du premier. Le Chamaerops excelsa n'est d'ailleurs pas un vrai Chamaerops; il est plus éloigné de ce genre que ne l'est le Livistona, et c'est avec raison qu'on l'en a séparé tout récemment sous le nom de Trachycarpus. Il est assez probable que les Chamaerops martiana ei tomentosa rentreront aussi dans ce genre.
les Cordyline et autres Liliacées exotiques, dont la place est marquée dans les jardins de l'Europe méridionale. Prétendre copier, sous le soleil brûlant de cette région, les parterres du Nord, avec leurs pelouses gazonnées et émaillées de fleurs, c'est viser à l'impossible. La nature a voulu la variété sur ce globe, et elle a assigné à chaque climat un genre de végétation particulier. L'horticulture n'a donc rien de mieux à faire qu'à la suivre, en laissant aux contrées du Nord leurs frais gazons et les charmantes plantes annuelles de leurs plates-bandes, et en peuplant les jardins du Midi d'arbres et de végétaux ligneux plus recommandables par la beauté du feuillage et leur perpétuelle verdure que par leurs fleurs.
Naudin
Revue horticole: journal d'horticulture practique
Edição de Librairie Agricole de la Maison Rustique, 1864, p. 54-5
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