(Translated from Moyle Sherer “Recollections of the Peninsula” 1827)
CINTRA, PRÈS DE LISBONNE. [188]
En deux heures de marche assez lente, un cabriolet conduit de Lisbonne à Quéluz, petite ville auprès de laquelle la reine a un palais d'été. Le pays que l'on traverse n'offre rien de remarquable, excepté des champs entourés de haies d'agave qui sont d'une dimension prodigieuse et d'une beauté extraordinaire. Ces plantes sont entremêlées d'opuntia ou figuiers d'Inde, dont l'aspect n'a rien d'agréable.
Le palais de Quéluz n'est pas beau, la' décoration des appartemens n'étant ni élégante ni magnifique ; il y a quelques jolies glaces, mais l'ameublement est antique et en mauvais état. Le jardin correspond au caractère du palais; il est symétrique et d'un goût baroque; les arbres, les haies, les bordures sont taillés au ciseau dans toutes les formes possibles. Des statues massives, des bustes défigurés et des fontaines mal dessinées complètent le tableau.
En moins de trois heures nous arrivâmes à Cintra. A mesure que l'on approche de cette ville, le paysage est vraiment enchanteur. La variété et la belle végétation des bois qui tapissent le flanc de la montagne, dont la tête s'élève au-dessus de la ville, la teinte brune éclatante ou plutôt dorée des mousses qui couvrent, sa -surface près de sa crête, et les rochers nus, grisâtres et raboteux qui couronnent ses cimes les plus élevées, forment un tableau qui ne peut être dessiné avec fidélité que par le crayon d'un artiste ou la plume d'un poète. La ville, quoique:très-élevée, est beaucoup au-dessous du haut de la montagne, et à l'entour tout est beau, ombragé et tranquille. L'écorce blanche, sillonnée, et la forme fantastique du liège au feuillage pâle , la verdure foncée de l'olivier, le vert éclatant et les fruits dorés des orangers, les vignes en treillis, le géranium sauvage, toutes ces plantes se réunissent pour donner à l'aspect de la nature un agrément qui, pour l'œil d'un habitant du Nord , a un charme nouveau et irrésistible. Nous ne tardâmes pas à quitter notre auberge; et, montés sur des ânes, nous gagnâmes le couvent qui est situé près du sommet de la montagne de Cintra. On peut rêver dans la posture qui fait plaisir sur un bât couvert d'un drap vert ; car il est réellement surprenant de voir avec quelle agilité et quelle sûreté ces animaux mènent leurs cavaliers par des sentiers rocailleux , inégaux, escarpés et dangereux.
Un moine nous reçut à la porte du couvent et nous conduisit 'partout. C'est un édifice peu [190] remarquable ; mais sa position est incomparable pour sa singularité et sa hardiesse. Ce monastère est entièrement séparé du peste du monde; de là, l'œil peut tantôt se promener à perte de vue sur l'immensité de l'Océan atlantique , tantôt se reposer sur de jolies vallées, ou sûr des ravines «ombres qui sont beaucoup plus bas. L'oreille aussi peut saisir d'un côté le son rauque de la tempête qui commence, ou écouter d'un autre ces voix douces et agréables qui annoncent les occupations rustiques elle bonheur des champs.
Si un homme, à l'âge de cinquante ans, se trouvoit seul dans le monde, sans femme, sans parens, sans amis, il pourroit se retirer dans cette demeure pour y terminer ses jours. Quand la mort emporte les objets de nos affections, où chercher des consolations ? Ce n'est pas quand l'âge a commencé à nous faire éprouver ses atteintes que l'on peut espérer d'inspirer de la tendresse ou de serrer de nouveau les liens de l'amitié. Oui, je me dis qu'il est des positions dans la vie où le calme d'un monastère écarté apporteroit de la consolation à une âme blessée. Plût au ciel que les cloîtres ne fussent remplis que de semblables enfans de l'infortune !
A peu de distance de ce couvent, sur une autre éminence très-âpre, s'élève un ancien château bâti par les Maures, qui n'a rien de remarquable que d'avoir été habité par ce peuple. J'y restai un [191] quart d'heure ; mon imagination me le représentoit peuplé de ses défenseurs musulmans. Je regardois le magnifique spectacle qui m'entouroit, et je me disois qu'eux aussi avoient contemplé l'Océan, et que leurs yeux s'étoient reposés sur les prairies verdoyantes et sur les bosquets sombres qui, en ce moment, étoient étalés devant moi. Il y a du plaisir à associer ainsi des idées de choses différentes, et à pouvoir en quelque sorte faire revivre les objets et les images autour- de soi, plaisir que tous les hommes Oût senti ; et que j'essaierois en vain de définir, mais duquel découle en grande partie le charme' des voyages.
Dans une autre partie de ces montagnes, et dans une situation moins aérienne, il y a un couvent bâti au milieu de rochers sauvages et romantiques ; c'est une véritable curiosité : murs , portes, meubles, tout est en liège. De pauvres et humbles Franciscains l'habitent ; ils ont un jardin et une petite orangerie ; ils nous présentèrent des fruits avec beaucoup de politesse, et pâturent très-reconnoissans de la bagatelle que nous leur donnâmes.
Nos chevaux nous conduisirent de là, par un sentier très-agréable, à la Quinta de Coularès, si célèbre par ses vins délicieux. La vallée est superbe : dans une partie, il y a' une maison bâtie, vingt ans auparavant, par un Anglois, possesseur d'une grande fortune. Cette demeure,. entouré [192] de tout ce qui peut en faire un séjour digne d'envie, est dans un état complet de désolation et de ruine. Cet homme opulent l'avoit arrangée avec une magnificence digne d'un prince ; mais les richesses ne peuvent fermer l'accès au chagrin, au mécontentement, aux maladies, à la honte. Quelques-uns de ces hôtes incommodes le chassèrent de ce manoir voluptueux ; ensuite les vents et les pluies du ciel, comme pour se jouer des vains projets de bonheur formés par les hommes, ont presque détruit ce temple merveilleux du plaisir.
A notre retour a l'auberge de Cintra, nous trouvâmes un bon dîner préparé et servi à l'angloise. Du vin de Coularès , bien rafraîchi et ressemblant beaucoup au vin de Bordeaux, ne lais-soit rien à désirer aux gourmets. Fatigués, mais enchantés de notre journée, nous nous retirâmes dans des chambres bien meublées, et où les lits étoient excellens.
Le lendemain, je me levai de bonne heure et je visitai le palais : c'est un bâtiment très-ancien et fort curieux. On reconnoît, à des signes évidens, qu'il a été bâti sur cet emplacement avec les matériaux d'un édifice maure.
Tous les appartemens sont pavés en grands carreaux rouges, et ornés d'une sorte de figures blanches très-dégradées par le temps. Dans une pièce on montre aux étrangers un sentier tracé par les [193] pas précipités et inquiets d'un roi qui, il y a près de cent cinquante ans, fut enfermé pendant quinze ans dansée château. Durant ce temps, Alphonse VI continua de porter le vain titre de roi, tandis que Pierre, son frère cadet, beau, actif, entreprenant, portoit le sceptre du Portugal, après avoir épousé la femme qui avoit été mariée au prince détrôné. Les historiens s'accordent à représenter Alphonse comme un prince aussi foible de corps que d'esprit : j'espère, pour la cause de l'humanité , que ce rapport est vrai ; mais, dans les pays où la liberté civile et religieuse est refusée au sujet, la vérité est souvent torturée d'une manière étrange.
Je ne pouvois me décider à partir de Cintra sans visiter la belle maison de campagne du marquis de Marialva. J'en fus très-satisfait : c'est un magnifique séjour. Un appartement me frappa par son élégance ; il étoit tapissé en beau satin blanc, avec des bordures et des corniches en or; tout l'ameublement éloit également en blanc et en or; il y avoit aussi de grandes dalles de marbre d'une beauté extraordinaire.
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