Saturday 6 March 2010

La villa Thuret, 1889


Henry L. de Vilmorin,

Non loin des embouchures du Var, entre le golfe Jouan et la baie de Nice, s’étend vers
le sud une langue de terre presque complètement entourée par les eaux bleues de la
Méditerranée : c’est la presqu’île ou cap d’Antibes, un des sites les plus gracieux de la côte de
Provence, si riche pourtant en beautés naturelles. Du sommet des mamelons dont se hérisse la
surface rocheuse et ondulée de la presqu’île, l’oeil découvre un des plus admirables paysages
qu’il soit possible de contempler. Tournant le dos à la haute mer, on voit devant soi les plis du
terrain s’élever les uns par-dessus les autres, revêtus au premier plan de la verdure cendrée
des oliviers, puis de bois sombres qui dominent au loin des crêtes âpres et dénudées. A
gauche, derrière les îles de Lérins, le massif de l’Estérel profile sur le ciel ses sommets
élégamment découpés, et à droite, par-dessus la ligne blanche des constructions de Nice, se
dressent les hauts sommets des Alpes couverts de neige pendant les trois quarts de l’année. Ce
rempart de hauteurs garantit la campagne d’Antibes des vents glacés du Nord ; la mer qui
l’environne y entretient un climat exceptionnellement doux et égal. En même temps l’air y est
plus chargé d’humidité que sur la plupart des autres points de la côte, où l’extrême chaleur est
achetée au prix d’une sécheresse excessive. Le sol, conquis sur le rocher par un travail
séculaire, est riche et profond ; les nombreuses plantations d’orangers dont le cap est parsemé
indiquent bien que la localité est éminemment propre à la culture de cette catégorie
nombreuse de végétaux, ligneux ou herbacés, qu’on réunit sous la dénomination générale de
plantes d’orangerie.
C’est la beauté incomparable de la vue dont on y jouit qui fixa au cap d’Antibes
Monsieur Gustave Thuret, amené sur les côtes de Provence par l’état de sa santé. En 1856, il
choisit, pour l’emplacement de sa future résidence d’hiver, un terrain situé vers le milieu de la
presqu’île, au pied du monticule qui porte le sanctuaire de Notre-Dame d’Antibes et le phare
de la Garoupe, terrain s’élevant d’un côté jusqu’à l’arête qui forme la limite entre les deux
versants et s’abaissant de là par des pentes assez rapides dans la direction du Nord-Est, vers la
ville d’Antibes et le golfe de Nice. Une addition faite un peu plus tard à la propriété l’étendit
jusqu’aux terres basses et fraîches de la Salis, où sont situés les principaux jardins maraîchers
d’Antibes. Plusieurs des propriétés qui avoisinent la villa Thuret peuvent donner l’idée de ce
qu’elle était alors. Des champs de médiocre étendue dans les parties relativement planes, des
terrasses superposées partout où la pente du sol était plus accusée, le tout planté en vignes et
en cultures morcelées, avec des lignes d’oliviers bordant les champs et les terrasses.
Le terrain, une fois choisi, fut promptement transformé. L’emplacement de
l’habitation fut marqué sur le point culminant ; les terrasses firent place à des pentes douces
ou rapides, mais toujours harmonieuses. Homme de goût en toutes choses, doué d’un
penchant héréditaire pour le jardinage dans toutes ses formes les plus artistiques, connaissant
de vue les plus beaux jardins de la France, de l’Angleterre, de l’Italie et de l’Orient, Monsieur
Gustave Thuret chercha dans la création de sa résidence d’Antibes à tirer le meilleur parti des
beautés pittoresques du pays encadrées dans une végétation appropriée aux sites ; on peut
même dire qu’au début la préoccupation artistique et pittoresque domina pour lui toutes les
autres.
Mais, savant botaniste et véritable amateur de plantes, il ne pouvait tarder à apprécier
les avantages du climat d’Antibes au point de vue de la formation d’une sorte de musée
végétal des plantes provenant de pays analogues par leur température aux rivages français de
la Méditerranée.
Quand il se fixa à Antibes, Monsieur Gustave Thuret avait quarante ans. Héritier d’un
nom respecté, possesseur d’une belle fortune, il n’avait d’autre ambition que de consacrer le
reste de sa vie aux études scientifiques auxquelles il se livrait depuis sa jeunesse. Ce qu’il
demandait avant tout à sa nouvelle résidence, c’était la retraite en compagnie de bons amis, lecalme, le loisir au milieu des sujets d’étude que lui offraient son jardin et les rochers de la
côte ; c’était aussi des aspects gracieux et des points de vue variés, lui permettant de satisfaire
sans fatigue son goût prononcé pour les grands spectacles de la nature.
Pendant que dans un coin du jardin étaient plantés des pins parasols destinés à former
voûte au-dessus de l’échappée par où l’on voit Nice couronnée de pics neigeux et se reflétant
dans l’azur foncé de la mer, d’autres tableaux gracieux ou sévères étaient ménagés en avant
de la terrasse qui règne des deux côtés de l’habitation, et du rez-de-chaussée même de celle-ci
la vue pouvant s’étendre sur les deux golfes, tous deux si beaux, quoique de caractères si
différents. Les diverses parties du jardin étaient ensuite disposées, chacun avec son caractère
spécial, en vue des groupes de plantes qui s’adaptaient le mieux à chaque exposition
différente.
Dans le Midi, la plantation d’un jardin n’est pas chose aussi simple que dans nos pays
plus frais des environs de Paris. Les sécheresses terribles de l’été, les intempéries irrégulières
de l’hiver, les vents violents en toute saison, sont des obstacles contre lesquels on ne lutte pas
toujours heureusement. Une des conditions essentielles du succès, c’est la création d’abris
sous la protection desquels les végétaux délicats peuvent se développer et acquérir assez de
force pour résister ensuite au vent et aux coups de soleil. Les oliviers sont, à ce point de vue,
des arbres précieux : leur feuillage rare et léger tamise la lumière plutôt qu’il ne l’arrête ; il
empêche l’excessif rayonnement nocturne sans retenir l’eau des pluies, et en même temps
leurs racines n’épuisent pas assez le sol pour qu’on ne puisse cultiver d’autres plantes à leur
pied. Tous les oliviers qui existaient sur la propriété, sauf ceux qui se rencontraient sur le
passage des allées, furent donc conservés avec soin et existent encore pour la plupart. Dans
les portions découvertes l’abri fut constitué au moyen de chênes verts et de pins d’Alep,
arbres rustiques et d’une végétation plus rapide que celle de l’olivier.
Sous ces plantations, destinées à disparaître, après avoir rempli leur rôle de protection
temporaire, furent installés, dans un heureux mélange qui n’excluait pas l’ordre ni la méthode,
les divers genres de plantes vivaces et d’arbustes à feuillage persistant et à floraison hivernale.
Il était inutile, en effet, de planter dans une propriété habitée seulement d’octobre en mai des
végétaux fleurissant en été, et, quant aux arbres et arbustes à feuilles caduques, leur mélange
avec ceux à feuillage persistant eût été du plus malheureux effet, en suggérant l’idée
d’arbres morts au milieu d’autres pleins de vie.
Petit à petit vinrent se grouper dans le jardin Thuret les plus beaux palmiers rustiques
de l’ancien et du nouveau monde ; une collection choisie de Cycadées ; la plupart des acacias
de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ; les Eucalyptus, les Pittosporum, les Rhus, les
Bougainvillea ; les passiflores et les Tasconia ; les diverses espèces d’orangers et de
citronniers ; puis les innombrables Protéacées, Grevillea, Hakea, Banksia, ainsi que de
nombreuses espèces d’agave et d’aloès, de Sedum et de Mesembrianthemum. Des conifères,
pins, sapins, cyprès, Araucaria, y trouvaient aussi leur place, et sous l’ombre épaisse de leur
feuillage se détachaient gaiement les fleurs éclatantes des Tecoma ou des rosiers grimpants et
celles des innombrables anémones dont les gazons étaient et sont encore émaillés.
Il faut se souvenir qu’à l’époque où Monsieur Thuret créait son jardin, il n’avait pas
encore de modèle à suivre sur cette côte où l’horticulture a fait depuis lors de si grands
progrès. De rares constructions faites isolément par des voyageurs et des marins donnaient
bien déjà quelques indications sur les plantes qui convenaient le mieux au climat, mais en
somme, presque tous les essais étaient à faire. C’est principalement par la voie des semis que
le jardin de Monsieur Thuret a été peuplé, et les espèces à essayer étaient choisies le plus
souvent sur les indications des Flores ou des grands ouvrages de botanique horticole, comme
le Botanical magazine et la Flore des serres et des jardins. Beaucoup provenaient d’échanges
faits avec les jardins botaniques et d’envois du muséum d’histoire naturelle de Paris.
Toutes ne réussissaient pas, et les registres, admirablement tenus, des expériences
faites accusent un chiffre d’insuccès à peu près égal à celui des résultats heureux. Il serait fortintéressant d’en avoir la liste, dont la connaissance dispenserait bien des amateurs du littoral
de recommencer en pure perte des essais longs et coûteux.
Au bout de quelques années, la transformation de la propriété en un jardin féerique
était complète. Les arbres du pourtour avaient grandi, formant une muraille de verdure qui
l’isolait de tout voisinage immédiat, et en faisait, suivant l’expression de Georges Sand, qui a
consacré à la description du jardin Thuret une page admirable1, un vallon fermé par delà les
bords boisés duquel on ne voyait que la Méditerranée et la chaîne des Alpes. Pour le
voyageur, amateur des beautés naturelles, la villa Thuret était dès lors une merveille ; pour le
botaniste, c’était un écrin précieux renfermant des trésors.
C’est que le créateur de ce beau domaine, en même temps qu’il cherchait à étendre ses
collections, se préoccupait avec raison de les tenir toujours dans l’ordre le plus parfait et
d’avoir toutes ses plantes correctement nommées. L’étude de tous les catalogues botaniques et
commerciaux, la comparaison de chaque plante reçue ou obtenue de semis avec la description
et les figures authentiques, l’étiquetage définitif de chaque végétal mis en place, la révision
annuelle des collections, constituaient un travail considérable, surtout si l’on réfléchit qu’il
s’ajoutait à ces recherches laborieuses sur les algues qui ont fait de tant de communications
intéressantes. Le temps ni les forces d’un seul homme n’auraient pas suffi à cette double
tâche.
Heureusement Monsieur Gustave Thuret avait auprès de lui le savant collaborateur et
l’ami dévoué, compagnon fidèle de sa vie et de ses travaux, Monsieur le docteur Edmond
Bornet, que la société de botanique était heureuse, l’année dernière, de saluer comme son
président. Le travail commun se divisait entre les deux amis, aussi instruits, aussi judicieux,
aussi scrupuleusement exacts l’un que l’autre, et, grâce à ce concours soutenu de deux
intelligences d’élite, l’oeuvre commune progressait constamment, aussi bien dans le domaine
de la science pure que dans celui de la botanique expérimentale et de l’horticulture
scientifique. La très grande part personnelle prise par Messieurs Thuret et Bornet à tous les
travaux de création et d’entretien des collections explique comment un résultat aussi complet
a pu être obtenu relativement à aussi peu de frais ; tellement, qu’en admirant leur création
commune, on ne sait si l’on doit s’étonner davantage de la perfection de l’oeuvre, ou de la
simplicité et de la modicité des moyens employés pour l’accomplir.
Mais, hélas ! Rien n’est complètement durable en ce monde. Après avoir fait de son
jardin un des joyaux du littoral ; après y avoir reçu la visite de nombreux savants français et
étrangers, de voyageurs illustres et d’amateurs distingués devant qui s’ouvraient
gracieusement les portes fermées seulement à la curiosité banale, Monsieur Thuret fut enlevé
presque subitement, le 10 mai 1875, à l’affection de sa famille et de ses amis et à la sympathie
universelle du monde scientifique.
Il n’entre pas dans notre plan de redire le tribut de louanges qui fut payé alors dans
toute l’Europe à son mérite et à son caractère. Plusieurs voix s’élevèrent alors, mais aucune
avec plus d’autorité que celle de son ami et collaborateur Monsieur le docteur Bornet2, pour
faire connaître le large esprit et le grand coeur de celui qui, modeste autant que savant, venait
de mourir presque inconnu de son public, sauf de quelques intimes qui voyaient en lui un
maître. Certes sa mémoire fut alors dignement honorée ; mais l’hommage le plus éclatant et le
plus honorable ne lui fut rendu que plus tard, lorsque sa famille et ses amis, réunis dans une
même pensée de pieux souvenir et de dévouement à la science, assurèrent la perpétuité de sa
belle création, voilà le plus beau monument qu’on pouvait élever au botaniste et au savant.
C’est ce qui fut fait.
Monsieur Thuret avait dans sa famille une personne d’un esprit élevé et ouvert aux
grandes choses. Madame Henri Thuret, éloignée de Paris par les funestes événements del’année 1870, avait passé l’hiver de la guerre à Antibes, du mois de décembre au mois d’avril,
au milieu des riches collections, alors dans tout leur éclat, de la propriété de son beau-frère.
L’impression produite sur elle par cette création fut profonde et durable ; aussi, quand cinq
ans plus tard on put craindre que la villa Thuret, passant des mains du frère de son fondateur
dans celles d’étrangers, ne vint à être perdue pour les études botaniques et horticoles, Madame
Henri Thuret pensa-t-elle immédiatement à assurer la conservation de ce monument des
travaux et des recherches de son beau-frère.
Après qu’on eut essayé de diverses combinaisons successivement abandonnées, des
négociations furent entamées avec le Ministère de l’instruction publique en vue de
l’acquisition de la propriété par l’Etat et de sa transformation en un établissement d’études
supérieures. Mais le Ministre d’alors, ménagers des deniers de l’Etat, hésitait à entreprendre
une création qui impliquait une charge pour le budget. C’est alors que Madame Henri Thuret
fit don de la somme nécessaire pour acheter la villa Thuret, somme fixée à 200 000 francs, et
ne laissa de la sorte au Ministre que la charge des dépenses annuelles de personnel et
d’entretien. Il fallut de longues et patientes négociations pour mener l’affaire à bonne fin.
Monsieur le docteur Bornet, que l’on trouve toujours quand il s’agit de bien à faire ou de
services à rendre, s’y employa plus que personne ; enfin, grâce à la bienveillance de Monsieur
du Mesnil, directeur de l’enseignement supérieur, toutes les difficultés furent successivement
levées. Un traité définitif fut signé le 24 octobre 1877, faisant de la villa Thuret un
établissement de l’Etat sous le titre de Laboratoire d’enseignement supérieur, attaché comme
annexe à l’enseignement des chaires de botanique et de culture des Facultés et du Muséum
d’histoire naturelle de Paris, et la dotation dut accepter par décret du 8 novembre 1877, inséré
au Journal officiel du 10 du même mois.
Délégué provisoirement dans la fonction de directeur du nouvel établissement,
Monsieur le docteur Bornet fut chargé de prendre possession de la villa Thuret au nom du
Ministre de l’instruction publique, de l’organiser à nouveau et d’en préparer le règlement. Sur
sa demande, il fut relevé de cette fonction aussitôt que la maison fut prête à recevoir son
directeur définitif. Mais en quittant la villa, il ne se désintéressa point de ce qui s’y passait. Il
savait que le laboratoire était bien dépourvu, qu’on n’y trouvait ni bibliothèque, ni herbier.
Héritier des livres et des collections de Monsieur Thuret, il sut, malgré ses goûts de
bibliophile, en détacher un choix d’ouvrages magnifiques de botanique illustrée (356 volumes
contenant près de 20 000 planches), qu’il joignit à l’herbier phanérogamique pour en faire don
à la villa Thuret. La donation fut acceptée par décret du 23 juin 1879. Il abandonna, entre
autres ouvrages principaux, ceux de Jacquin, le Botanical magazine, le Botanical register, la
Flore des serres et des jardins de l’Europe, ouvrages dont la valeur commerciale représente
une fraction considérable de la somme donnée par Madame Thuret. Il est bien juste que les
savants et amateurs qui les trouvent et en peuvent user à la villa Thuret sachent à qui ils sont
redevables de ces guides presque indispensables pour la détermination des plantes du jardin.
Acquis par l’Etat, pourvu des ouvrages nécessaires aux recherches, le laboratoire de la
villa Thuret devait être mis entre les mains d’un directeur capable d’en tirer tout le parti qu’on
était en droit d’en attendre. Le choix eût peut-être présenté des difficultés, si les circonstances
n’avaient semblé au contraire le déterminer de la façon la plus évidente. Il se trouvait à ce
moment, dans le midi de la France, éloigné de Paris par son état de santé, un savant botaniste,
membre de l’Institut, Monsieur Charles Naudin, à qui l’élévation de son esprit et l’originalité
de ses recherches faisaient une place éminente dans la science. Monsieur Decaisne, professeur
au Jardin des plantes, qui connaissait et appréciait Monsieur Naudin, l’ayant eu longtemps
pour collaborateur, le proposa et le fit accepter comme directeur de la villa Thuret. On ne
pouvait souhaiter mieux. D’une part c’était mettre à la tête d’une création nouvelle un esprit
large et ouvert, capable d’en comprendre toute l’utilité et de la diriger vers son but véritable,
et de l’autre c’était donner à un des expérimentateurs les plus habiles et les plus entreprenants
de notre temps un champ d’études digne de son activité. La suite a montré combien le choixdu Ministre avait été heureux. Les relations personnelles de Monsieur Naudin avec presque
tous les jardins botaniques du monde, son assiduité à se tenir au courant de tous les progrès de
la botanique et de l’horticulture en France et à l’étranger, ont fait depuis cinq ans affluer à la
villa Thuret directement, au moins autant que par l’intermédiaire du Muséum, toutes les
espèces ou races de végétaux qui peuvent avoir un intérêt pour le midi de la France, et celles
dont l’étude peut se faire aux bords de la Méditerranée mieux que sous un autre climat. Grâce
à des dons nombreux et à de fréquents échanges, les collections n’ont pas cessé de
s’accroître ; et si la culture de quelques espèces a dû être abandonnée, celles-là ont été
remplacées par des introductions nouvelles en plus grand nombre.
Outre ses études de toute sorte sur les plantes nouvelles et ses observations
météorologiques et climatologiques, Monsieur Naudin a entrepris, depuis qu’il est à la villa
Thuret, un travail de longue haleine, qui promet d’être aussi utile pour l’Etat et pour les
particuliers qu’il est pour l’auteur hérissé de difficultés. Nous vous parlons de la révision des
Eucalyptus et de leur classification et description. A peine entrées depuis trente ans dans la
pratique des plantations forestières, ces précieuses myrtacées de l’Océanie sont actuellement
l’objet d’un engouement bien justifié. Mais, dans ce genre comme ailleurs, il y a à choisir, et
toutes les espèces ne conviennent pas également bien à tous les terrains ni à tous les emplois.
Malheureusement et en dépit des efforts les plus consciencieux, une grande confusion règne
dans la nomenclature des Eucalyptus, et cela même dans les ouvrages botaniques, qui
devraient servir de guide aux importateurs de graines et au pépiniéristes. La grande variabilité
des caractères d’une même espèce depuis le plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte est une des
grandes causes de l’obscurité qui règne dans l’histoire de beaucoup d’eucalytus. Pour les
connaître à fond, il faut voir germer, grandir, fleurir et fructifier chaque espèce. C’est ce
travail de patience que Monsieur Naudin n’a pas craint d’entreprendre : au prix de longues
recherches en Provence et en Algérie, ainsi que par correspondance, il a réuni à la villa Thuret
environ 130 espèces ou formes distinctes d’Eucalyptus, dont une bonne partie a déjà fructifié
et dont l’étude comparative lui fournira les matériaux d’un travail qui sera aussi intéressant
pour le botaniste qu’instructif pour le planteur.
La visite que la société va faire des jardins de la villa Thuret lui montrera qu’ils
continuent à mériter leur ancienne réputation et sont toujours les plus soignés et les mieux
tenus du cap d’Antibes. Peu de propriétés, même à Cannes et à Nice, peuvent rivaliser sous ce
rapport avec la villa Thuret, et ici le directeur est grandement assisté par le jardinier en chef,
Monsieur Marchais, aussi habile semeur et multiplicateur que connaisseur consommé de la
flore provençale spontanée et introduite. Et pourtant, jusqu’à ces derniers temps, tenir le
jardin frais et vert en toutes saisons n’était pas chose aisée ; on peut dire qu’il y fallait des
prodiges de soin et d’habileté prévoyante, car en été l’eau manquait absolument et ne pouvait
être obtenue qu’à grands frais et en quantités fort insuffisantes. L’année dernière il a pu être
installé un service de distribution d’eau qui porte la fraîcheur et la fécondité dans le jardin tout
entier. On doit espérer que cette amélioration ne restera pas isolée, et qu’il pourra être fait
plus encore pour un établissement qui le mérite si bien à tous égards.
Il n’est pas possible de faire dans une après-midi, quelque bien employée qu’elle soit,
l’inventaire de toutes les richesses végétales de la villa Thuret, et la seconde partie de cette
notice, qui sera consacrée à l’énumération des principaux végétaux de l’établissement, n’en
pourra signaler que les plus remarquables. Elle est surtout destinée à renseigner ceux de nos
collègues et des lecteurs du Bulletin qui n’ont pu prendre part à la session actuelle. Quant à
ceux qui sont présents, un quart d’heure de promenade leur en apprendra plus que toutes mes
descriptions.


1 Voyez Revue des deux mondes, numéro du 15 juillet 1868, p. 280.
2 Voyez la notice biographique sur Monsieur Gustave Thuret, Annales des sciences naturelles, 6° série, 1875,
botanique t. II, p. 308.



http://www.cg06.fr/cms/cg06/upload/decouvrir-les-am/fr/files/dossier-peda-histoiredesjardins.pdf

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